Le ton monte dans les négociations de l’industrie de la construction au Québec. Alors que le mot d’ordre syndical veut que les travailleurs attendent le 30 août pour déserter les chantiers, sept lieux de travail ont été frappés par un débrayage avant-hier. L’ACQ, qui représente la partie patronale à la table des négociations, dénonce ces moyens de pression qu’elle juge illégaux. En fin de journée mercredi, elle travaillait déjà sur le dépôt de plaintes à la Commission de la construction du Québec. Constructo fait le point sur ces négociations très houleuses.
Moyens de pression
La journée de mercredi a démarré sur les chapeaux de roues. Donald Fortin, porte-parole de l’Alliance syndicale, regroupant 146 000 travailleurs et 5 syndicats, avait convoqué les médias à un point de presse. Il y a dénoncé l’attitude de l’ACQ à la table des négociations, affirmant que ce sont toujours des demandes de concessions. « Ça fait 30 ans que je suis dans l’industrie et c’est la première fois que je vois une attitude semblable des patrons, aussi agressés par les demandes syndicales », a-t-il soutenu.
Il a profité de sa tribune pour rappeler que les conventions collectives sont échues depuis quatre mois. « On sait très bien que dans l’industrie de la construction, il n’y a pas de rétroactivité [à la signature d’un renouvellement d’entente]. Donc jusqu’ici, les travailleurs ont été privés d’environ 400 millions $. »
M. Fortin a également répondu à Lyne Marcoux, qui comparait l’industrie de la construction au secteur de la fonction publique. « Nos membres travaillent en moyenne 1000 heures par année, à raison de 30 $ de l’heure. Ça donne un salaire annuel de 30 000 $. Si nous avions comme eux une garantie d’emploi et de revenu, nous serions prêts à accepter un gel de nos salaires. Ce n’est pas le cas », a-t-il martelé.
L’Alliance syndicale a également annoncé la mise en place de grèves du zèle et l’application stricte du code de sécurité et des conventions en vigueur. On dénombrait déjà sept chantiers commerciaux et résidentiels en arrêt mercredi, en Estrie, à Québec, à Montréal et en Outaouais. Rejointe tôt jeudi matin, la responsable des communications de l’ACQ, Gisèle Bélanger, comptait déjà deux chantiers réduits au silence. Une grève générale illimitée pourrait être déclenchée à partir du 30 août.
Réactions patronales
Lyne Marcoux a vivement réagi à cette annonce. «C’est difficile de comprendre comment autant de personnes vont sortir en grève, alors que la pierre d’achoppement est circonscrite à un sous-secteur, qui compte de 6 000 à 8 000 travailleurs », croit-elle. Selon l’ACQ, les négociations pour les secteurs commercial et institutionnel sont presque réglées, mais rien ne peut être signé en raison d’un important désaccord au sujet de l’abolition de primes qui touchent les travailleurs du secteur industriel lourd.
Même son de cloche du côté de l’APCHQ, par le biais du directeur général de la division des membres et de l’industrie, Éric Cherbaka. « Les syndiqués ont le droit de faire la grève, c’est prévu par la loi. Ce que je trouve déplorable, c’est que l’Alliance a soutenu qu’il n’y aurait pas de moyens de pression ou de grèves tournantes d’ici le 30 août. Ce que l’on constate, dans toutes les régions, c’est que des chantiers sont arrêtés. Des représentants syndicaux ont visité des chantiers et ont demandé aux travailleurs de partir. Ceux-ci se sentent obligés de le faire. C’est inacceptable. »
L’ACRGTQ est toutefois confiante que les grèves sporadiques ne toucheront pas son secteur. « C’est possible qu’on soit touché par la grève générale du 30 août. L’Alliance nous a toutefois assuré que tant que les négociations se poursuivent, il n’y aura pas de manifestations ou d’arrêts de travail dans le génie civil et la voirie », a affirmé son vice-président, Christian Croteau. Il est vrai qu’une entente de principe a été signée le 21 juin dernier entre l’ACRGTQ et l’Alliance syndicale. Depuis cette date, une quarantaine de rencontres ont eu lieu et d’autres sont encore prévues.
Points de litige
Donald Fortin a détaillé les principaux points de litige lors de son point de presse. Le déficit de la caisse de retraite de 1,9 milliard $, des augmentations de salaires « raisonnables », les journées de maladie, les compensations pour frais d’utilisation d’un véhicule par les employés, les conditions de travail sur les chantiers et l’abolition du sous-secteur industriel lourd font partie des préoccupations majeures des syndicats.
C’est surtout l’impasse dans le secteur industriel, où il y a plusieurs points qui accrochent.
La principale pomme de discorde se trouve dans les clauses dites non-productives. Depuis neuf mois, l’ACQ souhaite la suppression de certaines clauses touchant le secteur industriel. Elle veut notamment abolir la «prime de présentation», en vertu de laquelle les employés de l’industrie lourde sont payés une heure par jour seulement pour se pointer au travail. « C’est le mandat que nous ont donné les employeurs et nous ne pouvons pas céder au chantage de l’Alliance syndicale », a insisté Lyne Marcoux.
Par ailleurs, l’ACQ souhaite payer une partie des heures supplémentaires à taux et demi plutôt qu’à taux double dans les trois secteurs qu’elle représente, soit l’institutionnel-commercial et l’industriel, ce que trouve évidemment inadmissible l’Alliance syndicale.
Dans le secteur de la construction résidentielle, c’est plutôt au sujet de la question salariale que les discussions achoppent.
« Depuis 2001, il y a un écart d’environ 10 % entre le résidentiel léger et le résidentiel lourd et les autres secteurs, explique Éric Cherbaka. Cet écart a été accepté par l’Alliance lors de la signature des conventions collectives en 2001, 2004 et 2007. Ils ont reconnu que le secteur résidentiel a ses particularités et que ce 10 % était justifié. Aujourd’hui, en 2010, ils veulent un salaire unique pour l’ensemble de l’industrie. Ça ne passe pas. »
Il poursuit en disant que l’APCHQ a mis sur la table une augmentation de 9 % sur 3 ans pour ses travailleurs. « C’est beaucoup, plus que ce que la majorité des syndiqués au Québec reçoivent, et certains entrepreneurs trouvaient même qu’on en offrait trop à nos membres. Malgré tout, l’Alliance demande, avec la mise à niveau des salaires, une augmentation de pratiquement 13 % sur trois ans. »
Une rencontre avait lieu jeudi matin entre l’Alliance syndicale et l’ACQ, pour les secteurs industriel, commercial et institutionnel. Aucune rencontre n’a encore été planifiée par le conciliateur dans l’autre secteur où il y a un cul-de-sac, le secteur résidentiel.