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Logement communautaire : une histoire d’engagement

À Québec, Anne Côté et Mario Lafond conçoivent depuis plus de 30 ans des projets qui reposent sur une mission sociale affirmée. Portrait de deux architectes pour qui le logement communautaire est plus qu’une spécialité.

Les deux complices – qui précisent ne pas former un couple – travaillent ensemble depuis la fin de leurs études à l’École d’architecture de l’Université Laval dans les années 1980. Dans une autre vie, le tandem animait la Clinique d’architecture de Québec, fondée dans un désir de démocratiser l’accès aux services d’architecture.

À la barre de la firme Lafond Côté Architectes depuis 1994, les associés concentrent désormais leurs efforts dans deux principaux créneaux : le patrimoine et le logement communautaire. « On a toujours fait de l’architecture d’engagement, estime Anne Côté. Je pense que c’est notre legs. »

Et c’est aussi ce qui les distingue dans la profession. « Presque tous nos projets comportent une mission », avance-t-elle. Mario Lafond renchérit : « On a conçu des logements pour des personnes à faible revenu, des gens à mobilité réduite, d’autres vivant avec des maladies mentales, des femmes violentées, d’ex-prostituées, des jeunes vivant dans la rue. Il y a beaucoup de projets que vous ne retrouverez pas sur notre site Web parce qu’on ne peut pas les divulguer. »

Les deux architectes ont ainsi l’impres­sion de faire une contribution à la société, d’aller au-delà de ce qu’exige leur profession. 

Une progression naturelle

La Bouée – L’Albédo, Québec, Lafond Côté Architectes Photo : Etienne Dumas
La Bouée – L’Albédo, Québec, Lafond Côté Architectes
Photo : Etienne Dumas

Leur intérêt pour le logement commu­nautaire ne date pas d’hier. « On vient tous les deux d’un quartier populaire, dans le grand Limoilou. On ne peut pas renier nos racines. On a travaillé dans le domaine résidentiel unifamilial au début. Là, on a développé notre habileté à être à l’écoute des gens et à offrir des services adaptés dans les moindres détails », raconte Mario Lafond. 

Leur mission sociale ne les empêche pas d’utiliser les dernières techniques, comme le BIM ou les plateformes 3D. Anne Côté explique que la firme fait de la recherche et du développement et mise sur l’innovation. Pour son expérience, elle a d’ailleurs été choisie par la Société d’habitation du Québec pour ses projets démonstrateurs qui présentent les plus basses émissions de gaz à effet de serre dans l’habitation. « On a réalisé le premier bâtiment à ossature de bois à six étages au Québec. Bref, on est bons ! » À cette déclaration, les deux comparses éclatent de rire, mais on sent leur fierté.

Depuis ses débuts, Lafond Côté consa­cre en outre une partie de ses efforts au domaine patrimonial; la firme a notam­ment restauré de nombreuses églises. « On a aussi travaillé sur des monuments impor­tants », rappelle Anne Côté. Le duo a en effet signé le rapport d’expertise et le plan de réfection du pavillon Gérard-Morisset du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). On lui doit aussi des travaux de restauration du Monastère des Ursulines primés dans la catégorie « patrimoine » aux Mérites d’architecture de Québec en 2021.

Notre responsabilité, estime Mario Lafond, c’est que la ville soit belle, mais surtout que les usagers soient heureux. »

– Mario Lafond

Des obstacles

Ce genre de pratique vient avec son lot de difficultés. « Quand on s’embarque dans un projet, on sait que ça prendra des années avant que ça se réalise. Ça ne se fait jamais en criant ciseau, illustre Mario Lafond. Il faut chercher du financement, accom­pagner l’équipe. On devient en quelque sorte le chef de locomotive. »

Fait inusité, le cabinet Lafond Côté soutient financièrement les projets sur lesquels il planche en offrant une partie de ses services pro bono. « Pendant le proces­sus de développement, on ne reçoit pas d’honoraires. On est payés seulement si le projet fonctionne et quand il est vraiment amorcé », explique Anne Côté. 

L’approche est risquée, et les deux archi­tectes en conviennent. « On a joué gros. Au début, quand on développait notre bureau, on n’avait pas une cenne et on travail­lait pratiquement bénévolement, se rappelle Anne Côté. On avait fait le pari qu’un jour, on renverserait la vapeur, mais il fallait avoir du front pour faire ça, à l’époque. » 

Les architectes doivent en outre tenir compte de règlements assez rigides, par exemple ceux qui définissent les dimen­sions de la cuisine et des chambres dans les logements communautaires. « À travers ça, et avec des budgets qui sont loin d’être illimités, on veut offrir la meilleure enveloppe possible, le moins d’entretien possible et un immeuble dans lequel les habitants n’auront pas à réinvestir dans les 15 à 20 prochaines années », dit Anne Côté.

Les groupes de ressources techniques, qui administrent les projets d’habitation communautaire, leur demandent désor­mais de concevoir des espaces ayant différents usages, comme des CPE, pour répondre aux besoins des organismes qui gravitent autour des projets. « On doit assumer le leadership pour rallier tout le monde autour d’une réflexion commune qui respecte les normes et les budgets », mentionne Mario Lafond, qui tire une grande fierté des bâtiments qui incarnent sa vision.

La référence

PECH-Sherpa, Québec, Lafond Côté Architectes Photo : Lafond Côté Architectes
PECH-Sherpa, Québec, Lafond Côté Architectes
Photo : Lafond Côté Architectes

Aujourd’hui, la firme est florissante. Son équipe de 17 personnes – dont 8 architectes – mène de nombreux projets de front. Depuis l’an 2000, elle a réalisé 2700 logements communautaires répartis dans 62 bâtiments. À Québec, le cabinet est maintenant considéré comme une référence dans ce domaine. « Dès qu’il y a un café-rencontre, une soupe populaire ou un groupe de personnes démunies en difficulté, c’est toujours notre nom qui surgit, et on est là pour ces gens. On est devenus le chef de file dans la région », remarque Mario Lafond. 

La signature Lafond Côté

Habitations Durocher, Québec, Lafond Côté Architectes Photo : Joël Gingras
Habitations Durocher, Québec, Lafond Côté Architectes
Photo : Joël Gingras

La firme préconise une approche d’inté­gration au milieu environnant, et c’est ce qui caractérise chacun de ses projets. Les architectes aiment jouer avec la couleur, mais « avec une certaine retenue ». La lumière constitue aussi un élément important dans leurs conceptions. Le projet PECH-Sherpa en est un bon exemple. 

« Il est venu donner un peu de gaieté et de couleur au boulevard Charest, avec un rez-de-chaussée super animé. Le directeur général de l’organisme, qui accompagne des personnes vivant avec des maladies mentales, nous a lancé le défi de créer un phare dans l’ombre », explique Anne Côté. 

Le cabinet termine aussi un projet de 80 logements, dont 40 pour personnes lourdement handicapées. « Les 40 unités sont adaptées aux besoins individuels des locataires en collaboration avec les ergo­thérapeutes, précise-t-elle. C’est un travail de moine. »

Pour Anne Côté et Mario Lafond, la pratique est une grande source de gratification. « On veut créer des milieux de vie conviviaux et agréables. Notre responsabilité, estime Mario Lafond, c’est que la ville soit belle, mais surtout que les usagers soient heureux. »

Publié dans Esquisses.