Accéder à la propriété n’est pas toujours facile. Pour diminuer les coûts, certains décident d’acheter un immeuble avec des amis ou des membres de leur famille. Cela entraîne-t-il vraiment une réduction de la facture, ou plutôt une multiplication des problèmes?
Après un seul essai comme locataire, Charles Messier a décidé de faire le saut et de devenir propriétaire. En 2009, le professeur de 31 ans a acheté un triplex avec deux de ses amis dans le quartier Villeray, à Montréal. Pour lui, c’était avant tout une question d’argent. «C’est beaucoup moins cher d’acheter un immeuble à trois que d’acheter une copropriété tout seul, estime-t-il. En plus, tout est divisé: les frais de notaire, les taxes, etc.»
Tout s’est bien déroulé, mais Charles Messier avait néanmoins certaines craintes au départ. «Les chicanes me faisaient un peu peur, je redoutais qu’on ne s’entende pas à long terme et je me demandais comment on allait faire si l’un de nous voulait partir avant les autres», explique-t-il.
Ces craintes sont tout à fait légitimes. Dans le cadre d’un achat en groupe, chaque copropriétaire est libre d’utiliser ou d’habiter l’immeuble, mais aussi d’en collecter les revenus, de le revendre ou de l’hypothéquer. «C’est ce qu’on appelle une copropriété indivise», explique Me Yves Joli-Coeur, avocat de l’étude De Grandpré Joli-Coeur, spécialisé en droit de la copropriété.
Divise ou indivise?
Les propriétaires d’un appartement en copropriété indivise ne possèdent pas seulement l’espace qu’ils habitent. Tout l’édifice leur appartient. À eux de s’entendre avec leurs voisins sur le partage de l’immeuble.
En copropriété divise – ce qu’on appelle communément un condo -, chaque acheteur possède seulement son appartement, avec un droit d’accès aux parties communes, comme la cour et les escaliers.
«La copropriété divise est bien encadrée par la loi, ce qui n’est pas vraiment le cas de l’indivise, dit Me Joli-Coeur. Les recours sont moindres. Il n’y a pas de règles définies non plus, à moins que les acheteurs s’entendent sur une convention.»
L’essentielle convention
Que contient une telle convention? «La convention d’indivision est établie par acte notarié, indique Me Joli-Coeur. Elle organise en fait la vie en copropriété indivise. Elle peut notamment porter sur les termes d’habitation, la mise de fonds de chacun, le partage des taxes et des assurances, les droits et les obligations concernant la jouissance des lieux, les règles d’administration, les espaces communs et les réparations.»
L’avocat ajoute qu’il est important de réfléchir à toutes ces clauses avant d’acheter. «Oui, l’indivise peut donner un levier économique intéressant, et l’accès à la propriété est un avantage de taille. Mais les responsabilités sont grandes.»
Mieux vaut se protéger des ennuis avant qu’ils surviennent, d’autant plus que chacun est libre de vendre ou de céder sa part, à moins qu’une disposition de la convention d’indivision prévoie le contraire.
Le financement
Dans une propriété indivise, tous les copropriétaires sont solidairement responsables de l’emprunt auprès du créancier. Si l’un d’eux n’est pas en mesure de verser sa part, les autres indivisaires devront donc éponger la facture. «C’est certain que c’est plus difficile d’obtenir du financement en groupe, puisque la liberté des institutions financières diminue», estime Me Joli-Coeur.
Comme la majorité des immeubles acquis en copropriété indivise sont garantis par une seule hypothèque, les banques minimisent généralement le risque en exigeant une mise de fonds minimale de 20% au moment de l’achat – contrairement à 5% normalement.
Charles Messier a malgré tout trouvé cette partie facile. «Dans notre cas, la banque a fait la somme de nos salaires. C’est moins risqué pour une institution de prêter de l’argent à quelqu’un qui gagne 150 000$ par année qu’à une personne qui a un salaire annuel de 50 000$.»
Même son de cloche pour Marie-Claude Simard, qui a acheté un quadruplex avec ses parents et son conjoint, il y a trois ans. Pour elle, l’accès à la propriété aurait été beaucoup plus difficile sans sa famille. «Je ne pense pas que notre couple aurait eu les reins assez solides pour acheter seul, alors qu’avec mes parents, nous avions les sommes requises», dit-elle.
En cas de départ
Si Marie-Claude Simard veut un jour quitter sa propriété, elle pourrait toutefois faire face à un problème de taille. Dans le cas de l’indivise, c’est là que les choses se compliquent.
Techniquement, si elle décide de vendre sa part, elle peut la vendre à n’importe qui, sans demander la permission de ses parents, qui pourraient être copropriétaires avec un pur inconnu – une décision qui risquerait de nuire à la relation familiale.
«Je vois deux choix: soit vendre l’immeuble au complet avec l’accord de mes parents, ou vendre mes parts à mes parents, en espérant qu’ils acceptent et, surtout, qu’ils aient les fonds nécessaires», précise-t-elle.
De copropriété indivise à divise
Pour éviter ces problèmes, Charles Messier et ses amis ont décidé très rapidement de transformer leur copropriété indivise en copropriété divise. Mais mieux vaut s’armer de patience: les étapes sont nombreuses et complexes. Pour Charles, on parle d’un processus de huit mois, qui a coûté environ 3000$.
«Il faut d’abord s’assurer d’avoir la permission de la Ville, puis faire une demande à la Régie du logement, indique Charles Messier.Un arpenteur-géomètre vient ensuite refaire les plans de cadastre. Le notaire rédige de son côté une déclaration de copropriété divise et la conversion est finalement terminée.»
Une fois la procédure achevée, les trois amis ont vendu leur unité. Leur aventure n’est pas tout à fait terminée pour autant: Charles Messier a acheté l’an dernier un duplex avec l’un d’eux.
Il conseille d’ailleurs sans hésiter l’achat d’un immeuble en groupe. «Quand on est jeune, ça vaut vraiment la peine.»
Une option intéressante, donc, qui doit malgré tout être étudiée, scrutée à la loupe et discutée, cent fois plutôt qu’une.